Appel à communications
XVIe Rencontres internationales des jeunes byzantinistes, Paris, 3-4 octobre 2025
Byzance intime. Regards sur soi et sur l’autre : discours, pratiques, objets
(English version below)
Dès les années 1940, les travaux pionniers de Phaidon Koukoulès sur la vie quotidienne à Byzance ont ouvert la voie à un foisonnement d’études prenant l’intime et le privé comme objets d’histoire. Depuis, le nombre et la diversité des recherches n’ont fait que croître : des contributions d’Évelyne Patlagean sur l’enfance à celles de Martin Hinterberger sur les émotions, en passant par l’exposition Byzantine Hours, Works and Days. Everyday Life in Byzantium (Athènes – Thessalonique – Mistra, 2002), les études byzantines se sont emparées de sujets aussi variés que les contours de la sensibilité, le rapport au corps et l’archéologie du quotidien.
Prenant acte de cet élan, les XVIe Rencontres internationales des jeunes byzantinistes mettent à l’honneur la notion d’intime en scrutant la culture byzantine au prisme de « ce qui est le plus intérieur ». Incarnant « le plus essentiel en même temps que le plus retiré et secret », l’intime est aussi « ce qui associe le plus profondément à l’Autre et porte au partage avec lui » ; il s’y reflète d’emblée une dialectique du “dedans” et du “dehors”, indissociable de l’émergence d’une idée de soi [1]. Cette frontière subtile s’exprime à tous les niveaux et dans toutes les dimensions de la vie sociale, des méandres de l’espace urbain aux pièces de la demeure, et jusqu’à la diplomatie des regards et des secrets.
Le sens de l’intime se fonde sur la conscience de soi. Que ce soit par le biais du soin, de l’hygiène, de la médecine ou de la parure, c’est d’abord par le corps que le sujet se confronte à l’altérité. Il s’agit dès lors de cerner les soins dont l’enveloppe charnelle fait l’objet dans le monde byzantin, en précisant les pratiques et les discours qui la construisent et l’accompagnent. Le souci du corps n’exclut pas celui de l’âme, bien au contraire. L’introspection encouragée par les Pères de l’Église imprègne toute la société et prend, à Byzance, une envergure particulière : toutes sociales que puissent être ses manifestations extérieures, la foi est également matière intime. Nourrie d’une relation intérieure et sensible au divin, la dévotion privée se tient au cœur de l’expérience quotidienne des fidèles.
Là où les textes sont souvent muets, l’étude des lieux et des objets de l’intimité apporte un éclairage précieux. L’analyse des restes humains dévoile une histoire secrète de l’alimentation, des blessures et des mobilités. Au cœur des habitations, la distinction entre les espaces ouverts aux visiteurs et ceux réservés à la maisonnée dessine tout un univers de pratiques sociales. Les vestiges d’établissements balnéaires, les objets de toilette, les outils du médecin donnent corps au soin de soi ; comme en un miroir, amulettes et icônes domestiques constituent les supports d’une autre intimité, spirituelle celle-ci : celle du fidèle avec Dieu. En-dehors du texte lui-même, les notes marginales témoignent du rapport familier du lecteur à l’œuvre.
L’amour et l’amitié transposent l’intime à l’échelle des relations sociales. Mais quel rôle peuvent-ils endosser dans une société hiérarchisée, où intérêts politiques et économiques sont inséparables des stratégies matrimoniales et des relations de patronage ? Maîtres et serviteurs, époux et concubins, parents et enfants charnels ou spirituels : la famille concentre les relations de proximité en même temps qu’elle met en jeu les normes de comportement, entre solidarité et rivalité. Prolongeant la maisonnée, les relations d’amitié se situent au croisement de l’intime et de l’intérêt : elles interrogent le rôle des sociabilités informelles dans les réseaux de pouvoir. Il n’est pourtant jusqu’à la mort qui ne parvienne à trancher ces liens, dont les pratiques funéraires trahissent la ténacité : le soin de l’autre s’exprime encore dans la mémoire de son nom, à laquelle s’adaptent, peu à peu, liturgies et lieux de culte.
Les déclarations d’intimité, omniprésentes dans les lettres byzantines, éclairent la puissance d’une rhétorique de la proximité. Celle-ci souligne l’importance de modèles culturels de l’intimité qui, de la Vierge à l’Enfant aux compagnons d’Achille, modèlent l’expression de la familiarité et de l’affection. Quels sont alors les discours admis de l’émotion, quel est le partage des affects publics et privés ?
Qu’il s’agisse du regard sur soi ou du regard de l’autre, l’intime est constamment modelé par le travail des apparences et les exigences de la norme. Émotions et sexualité reflètent une dialectique du licite et du honteux, de la dissimulation et de l’exhibition. Genre et statut social autorisent certaines formes d’intimité et en interdisent d’autres ; ils déterminent ce qui peut être connu et ce qui doit rester caché. Se pose alors la question du scandale et des déviances intimes que ne saurait tolérer la société.
À travers ce thème inépuisable, les XVIe Rencontres internationales des jeunes byzantinistes se donnent pour ambition d’approcher, avec tout le respect qui lui est dû, l’intimité de Byzance.
Les communications pourront s’inscrire dans l’une des thématiques suivantes, citées à titre non-exhaustif:
- Rhétorique de l’intime et discours des émotions
- Sensibilité et socialisation (toucher, regard, ouïe, odorat, goût)
- Rapport au corps, soins du corps, hygiène et santé
- Apparences, pudeur, honte et exhibition
- Images de l’intimité
- Espaces et lieux de l’intimité
- Œuvres, objets, outils intimes
- Amours et amitiés
- Liens familiaux et cadre domestique
- Intimité avec Dieu (dévotion privée, mystiques, ascètes)
- Intimité et ritualité
- Contrôle de l’intime, transgressions et scandales
- Sphère publique et sphère privée
- Écriture et intimité, manuscrits et autographes
Les communications, d’une durée de vingt minutes, pourront être données en français ou en anglais. Les propositions de communications (250 à 300 mots), accompagnées d’une brève biographie incluant l’institution de rattachement, le niveau d’études actuel (master, doctorat, post-doctorat) et le sujet de recherche, devront être envoyées à l’adresse aemb.paris@gmail.com, au plus tard le 31 mars 2025.
Les Rencontres se tiendront en présentiel, à Paris, les 3 et 4 octobre 2025. La prise en charge des frais de transports par l’AEMB est envisageable pour les candidats ne pouvant obtenir de financement de la part de leur institution d’origine. Les candidats retenus devront adhérer à l’AEMB.
[1] Jullien, F., De l’intime. Loin du bruyant Amour, Paris, Grasset & Fasquelle, 2013, p. 2.
Knowing me, knowing you: The Practices, Discourses, and Materiality of Intimacy in Byzantium
Ever since Phaidon Koukoules set the ball rolling with his pioneering work on Byzantine daily life in the 1940s, studies on the intimate and the personal have been gathering pace, increasing in both number and diversity over the years. From Évelyne Patlagean’s research on childhood to Martin Hinterberger’s contributions to the history of emotions, via the exhibition Byzantine Hours, Works and Days: Everyday Life in Byzantium (Athens – Thessaloniki – Mistra, 2002), Byzantinists have explored subjects as varied as discourses of sensibility, the treatment of the body, and the archaeology of everyday life.
Inspired by this growing interest, the Sixteenth International Meeting of Early-Career Byzantinists will revolve around the theme of intimacy, letting “all that is innermost” guide our investigations into Byzantine culture. “At once the most necessary and the most secret” of things, the intimate is also a site of “deep connection and even communion with the Other,” enabling the dialectic between the internal and the external that is imperative for the emergence of the concept of the self [1]. Every level and every dimension of social life is traversed by this porous boundary: from the contours of urban spaces to the rooms of private houses, and even the intangible frontiers of shared glances.
If the intimate is made possible by the idea of the self, then the first contact between ego and alterity is mediated through the body. Hygiene, medicine, cosmetics, and adornments all constitute interfaces between the human form and the world beyond. How, then, did Byzantines treat their physical selves, and what discourses and practices accompanied and shaped the socialised body? Care for the flesh does not, of course, exclude concern for the soul. The introspection encouraged by the Church Fathers permeated Byzantine society and made faith a deeply personal matter, however social its exterior manifestations may have been. This intimate, tangible relationship with the divine nourished private devotion, which lay at the heart of everyday life for the faithful.
In a domain where texts are often silent, intimate places and objects can offer valuable insights. The analysis of human remains reveals hitherto unknown histories of diet, injury, and migration. Within homes, the distinction between spaces open to visitors and those reserved to the household forms an imprint of social practices. Whilst the ruins of bathhouses, products for personal hygiene, and medical tools bring to life the care of the body, the care of the soul is attested to through amulets and domestic icons, objects that facilitate a spiritual intimacy between God and the faithful. Yet another kind of intimate relationship, that between text and reader, is preserved in the marginal notes of manuscripts.
On an interpersonal level, intimacy is expressed through love and friendship, but what role did these emotional connections play in a hierarchical society, one where political and economic interests were inseparable from marriage strategies and networks of patronage? Close relationships were concentrated within families and households and these ties between masters and slaves or servants, spouses and lovers, parents and children, whether biological or spiritual, reveal a range of behavioural norms, from solidarity to rivalry. Extending the family circle still wider, the role of informal social relations in networks of power can be investigated through friendships, which were at once matters of personal connection and of broader interests. The endurance of such bonds even beyond death is demonstrated by funerary practices: intimacy continued to be expressed by the memorialisation of the name of the deceased in liturgies and religious spaces, which were gradually adapted to meet such needs.
As the ever-present declarations of closeness between Byzantine letter-writers show, the rhetoric of intimacy held an important place in Byzantine society. Expressions of affection and understanding were shaped by cultural models of intimacy, from the Virgin and Child to the companions of Achilles. What were the socially sanctioned discourses of emotion? How could feelings be shared, publicly and privately?
Intimacies of all kinds were constantly conditioned, from both within and without, by the concern for appearances and the pressure to adhere to social norms. Sexuality and affectivity were sites of dialogue between the licit and the shameful, between concealment and display. Gender and social status permitted certain forms of intimacy and forbade others, dividing what could be shown openly from what had to remain hidden. These restrictions open up the topic of intimacies that society would not tolerate, and the scandals that resulted from them.
Through the endless nuances of this theme, the Sixteenth International Meeting of Early-Career Byzantinists seeks to deepen our understanding of, and intimacy with, Byzantium.
Presentations may wish to address one or more from the following, non-exhaustive, list of topics:
- The rhetoric of intimacy and the discourse of emotions
- Senses and socialisation (sight, sound, touch, smell, taste)
- Caring for the body, hygiene and health
- Appearances, modesty, shame, and display
- Images of intimacy
- Intimate spaces and places
- Intimate meanings and functions of objects, tools, and creations
- Love and friendship
- Family ties and other domestic relationships
- Intimacy with God (private devotion, mysticism, asceticism)
- Intimacy and ritual
- Restrictions on intimacy, transgressions and scandals.
- The public and the private sphere
- Intimate writings, manuscripts, and autographs.
Presentations should last about 20 minutes and may be given either in English or in French. Proposals (250 to 300 words) accompanied by a short biographical note including the author’s current institution, level of study (Masters, PhD, postdoctoral), and subject of research should be sent to aemb.paris@gmail.com by the 31st of March 2025.
The Meeting will be held in person, in Paris, on the 3rd and 4th of October 2025. The AEMB may be able to cover travel costs for presenters who are unable to receive funding from their home institution. Successful applicants must join the AEMB.
[1] Jullien, F., De l’intime. Loin du bruyant Amour, Paris, Grasset & Fasquelle, 2013, p. 2, (translation ours).