Écrire la vie de Marguerite de Hongrie (v. 1176-ap. 1229) – recueillir et analyser des sources dispersées.
Maximilien Girard, École des Chartes
Entreprendre de reconstituer, dans la mesure du possible, la biographie de celle qui, née princesse hongroise vers 1176, devint impératrice à Byzance avant même ses 10 ans, puis réussit à se fondre, par un astucieux mariage avec le chef de la Quatrième croisade détournée sur Constantinople, dans l’élite occidentale qui s’installa en Romania et, en particulier, dans le royaume latin de Thessalonique, avant de regagner son pays natal, c’est se heurter à un problème décourageant : les sources qui nous parlent de ce personnage sont rares, et pire, lapidaires, allusives, et dispersées.
Marguerite, aussi prénommée Marie, a vécu à une époque profondément troublée, qui voit l’Orient et l’Occident s’affronter et s’entremêler, et elle est une femme ; ce sont là deux paramètres qui, sans compter la damnatio memoriae dont fut l’objet l’ancien occupant latin après la reconquête de l’Empire par les Paléologues, concourent davantage à la ravaler dans l’oubli qu’à perpétuer son souvenir. L’histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on, et elle s’articule autour de figures essentiellement masculines, dans l’ombre desquelles les filles, les épouses et les mères sont souvent occultées. Si l’on dispose de témoignages sur le destin de Marguerite, c’est peut-être parce que ses veuvages l’ont quelque peu tiré du silentium fontium frappant les femmes ordinaires. Ils lui ont conféré une consistance, une individualité propre : devenant autonome, elle a agi de son propre chef et dans l’intérêt de ses enfants, elle a paré seule face à l’adversité.
Le but de notre communication sera de proposer un aperçu des différentes sources convoquées pour retracer la vie de notre personnage, tout à la fois atypique et représentatif de la société cosmopolite issue de l’installation d’occidentaux en terre byzantine au début du 13ᵉ siècle. Nous insisterons sur le caractère géographiquement éclaté de la provenance de ces textes, mais aussi sur leur variété formelle et linguistique, reflets de la mobilité de Marguerite à travers l’espace, de son insertion dans plusieurs sphères institutionnelles et culturelles et du cours agité de son existence. Enfin, nous nous interrogerons sur la valeur des données qu’ils fournissent à l’historien, sur la façon dont il est possible de les interpréter et sur la nécessité de les croiser pour déduire, dans une certaine mesure, ce que les sources ont tu.