Le Soleil et le bouffon : de l’hymne de Satyrion à Hélios comme « mélanges des genres » dans le roman de Théodore Prodrome.
Jérôme Bastick, ENS Lyon & Université de Caen
Au cœur du roman Rhodanthé et Dosiclès, composé dans les années 1140 par le poète constantinopolitain Théodore Prodrome, figure un poème auquel l’oubli dont il a été victime ne donne vraisemblablement pas sa juste valeur. Il prend en effet place au sommet d’une digression harmonieusement cadencée mais à première vue totalement étrangère à l’intrigue romanesque, et qui n’apparaît pas même dans l’adaptation en français que Godard de Beauchamp a faite du roman en 1743. De fait, le poème, riche de sa forme strophique, de son raffinement stylistique et de sa tonalité mystique contraste fortement avec le caractère grotesque et inattendu de la digression qui renferme et qui apparaît elle-même comme un élément isolé dans l’économie générale de l’œuvre.
C’est bien ce détail spécifique du roman de Théodore Prodrome que nous nous proposons d’étudier de manière plus approfondie, du point de vue littéraire en particulier. Le poème, ou plutôt l’hymne, peut à maints égards ressembler à une rosace représentant le Soleil, le dieu Hélios, qui en constitue à la fois l’objet et le dédicataire apparent. Or, c’est de la bouche d’un personnage de bouffon, nommé Satyrion et apparu seulement pour l’occasion, et entre deux de ses pitreries, que s’échappe brusquement ce chef d’œuvre impromptu. Nous essaierons donc de comprendre quelle signification l’hymne de Satyrion à Hélios tend à revêtir à ce moment crucial de la narration en mêlant ainsi le genre poétique au genre romanesque, le registre sublime au registre grotesque, le monde sacré au monde profane, et de montrer qu’elle peut même être conçue comme la clef de voûte du roman, elle qui en occupe l’exact centre de gravité.